Comme dans tous les lieux géographiques et anthropologiques, anecdotes, légendes, faits historiques participent à composer l’histoire fabuleuse des Pyrénées. Ainsi toute la mémoire, de cette cordillère qui relie l’Atlantique à la Méditerranée, étincelle des mille feux qui émanent des récits qui peuplent ses territoires et les souvenirs de ses habitants. Ainsi en Ariège, au dix neuvième siècle, une femme hante par sa présence insolite les montagnes du Vicdessos. C’est cette histoire que je vais vous conter en m’inspirant du récit de René-Jean Pagès « La folle des Pyrénées » aux Editions Empreinte.

La folle des Pyrénées

Si vous ne l’avez pas lu, vous pouvez découvrir ici le 1 er épisode.

Voici une femme traumatisée par l’attaque qu’elle a subi, immergée dans un profond état de choc émotionnel et qui brutalement se trouve confrontée à devoir affronter une exigeante situation de survie et forcée à une adaptation extrême aux contraintes de son environnement. Elle aurait pu d’elle-même dans sa détresse rejoindre la société des Hommes, au contraire, son traumatisme lui impose la fuite et la peur vis-à-vis de cette société humaine. Cette femme n’est pas Marie Angélique le Blanc (Femme d’origine amérindienne décédée en France, voir son histoire dans Wikipédia), ses origines ne l’ont pas dotée de qualités propices pour affronter sa situation nouvelle. Sa « folie » la confronte tout à coup au monde sauvage de la montagne pyrénéenne. Mais peut-être son anormalité lui fournit-elle un état mental utile pour s’adapter à sa nouvelle vie de « sauvageonne ». Ne fallait-il pas être folle pour vivre de cette manière et endurer les rudes conditions d’une vie en plein air ?

Dans sa vie sauvage cette femme doit se nourrir, s’abriter, se protéger des dangers des animaux et du climat, dormir en paix, s’orienter et l’on constate qu’elle y parvient fort bien ! En effet cette femme fait preuve d’une adaptabilité exceptionnelle au milieu dans lequel elle vit. Il s’avère alors que sa plus grande ennemie c’est la société civilisée. En effet celle-ci ne tolère finalement point son existence sauvage et le désordre que cela provoque. Cela lui sera fatal ! Elle a rejeté tout habillement et l’on imagine ce que sa nudité en ce début du 19ème siècle peut provoquer comme réactions. Nous avons vu que les autorités veulent à tout prix la vêtir et qu’elle refuse systématiquement tout vêtement. Ainsi elle n’a plus de problèmes d’habillement et c’est un souci en moins, mais elle doit toujours se nourrir. Comment manger ? Elle pratique la cueillette : fruits, plantes, racines… Peut-être aussi la pêche, enfin elle mange suffisamment pour vivre et affronter les aléas du climat. Il est établi aussi que des femmes l’aident en lui fournissant de la nourriture. Tout cela est possible une partie de l’année, mais l’hiver que mange-t-elle ? Alors dans ce cas ne serait-il pas plus judicieux d’hiverner et de dormir un maximum de temps à l’abri des intempéries et du froid hivernal ? Est-ce qu’elle a mis en place cette hivernation ? Cependant, dormir c’est possible, mais la biologie de son corps de femme n’est pas prévue pour survivre dans le froid et sans nourriture. Alors sachant qu’il n’y a pas de miracle possible, qu’elle n’a pas de qualité extrahumaine, dans quelles conditions ces hivers se sont-ils déroulés pour elle dans ces montagnes ? Nous y reviendrons. 

En Avril 1808, Napoléon arrive à Bayonne où il va demeurer pour effectuer des tractations en vue de l’attribution du trône d’Espagne qui finalement est octroyé à Joseph Bonaparte, son frère. Tout le printemps se déroule sous la pression des évènements espagnols. Le 6 juin 1808, la junte de Séville déclare la guerre à la France. La guerre d’indépendance pour l’Espagne commence. En ce même mois d’avril, le maire de Suc, Jean Franc est informé par le maire de Vicdessos de l’état d’une circulaire préfectorale informant du désir de « Sa Majesté Impériale » de visiter les départements du midi de la France et donc l’Empereur était susceptible d’honorer de sa présence le département de l’Ariège. Celui-ci se trouve au contact géographique direct avec l’Espagne qui s’enflamme. Dans ce contexte depuis la fin mai de cette année 1808, toutes les vallées frontalières sont en état d’alerte et des patrouilles militaires  composées de soldats et de membres de la Garde nationale sédentaire s’installent sur les crêtes frontières. Avec les conditions produites par l’éventuelle visite de l’Empereur et cette guerre franco-espagnole, le maire de Suc qui se doit depuis une circulaire du 22 décembre 1803, de signaler aux autorités « tous les évènements qui peuvent porter la plus légère atteinte à la tranquillité publique, ainsi que les moyens qui auront été pris pour les réprimer », se retrouve dans une position délicate. En effet, dans ce contexte la présence de la « folle », malgré son innocence, devient gênante et risque d’attirer de sérieux ennuis à ceux qui ont la responsabilité de l’ordre civil. Pour ceux-là, la « sauvageonne » devient indésirable. Pour elle, il en est fini de sa tranquillité et tout cela va sceller son sort ! 

Une réunion se tient chez le maire de Vicdessos rassemblant des hommes de la commune de Suc. Le juge de paix du Vicdessos est aussi alerté. Une battue de grande envergure est alors déclenchée qui mobilisa des membres de la Garde nationale sédentaire. Cette mobilisation témoigne de l’importance et de l’urgence qu’il y avait à réaliser cette battue. Les recherches sont rapidement opérées et les traces que notre femme laisse dans la neige la trahissent. Elle est alors vite repérée. Une fois arrêtée, car il ne s’agit plus de capture, « la sauvageonne » est transférée chez le juge de paix M.Vergnies, à Vicdessos, pour y être interrogée. Cela se passe un dimanche du début du mois de juin, le jour de la Pentecôte. Le lundi 6 juin 1808, la folle est extraite de sa cellule pour être emmenée à Foix, escortée de deux gendarmes à cheval.

A suivre…

Par Yannick Rolland, accompagnateur en montagne

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