Cathédrale et cocotiers
Le pueblo de Roda est situé sur les rives du Rio Isabeña dont la source se trouve quelque part sur le versant Sud de l’Aneto. Cette région petite par la taille mais grande par son intérêt est à l’écart des deux pénétrantes qui traversent les Pyrénées par le tunnel de Viella et son homologue d’Aragnouet. La plupart des pyrénéistes connaissent le Turbon, souvent de réputation. En venant de Graus, l’œil du visiteur est attiré de loin par deux massifs colorés qui barrent l’horizon. A mesure que l’on approche, les couleurs se précisent. Le blanc Turbon se distingue avec netteté de la sombre Sierra de Sis. Ces deux antiques sentinelles gardent farouchement le passage du Rio sans savoir que la guerre est finie depuis 65 millions d’années.
A cet endroit s’étendait une grande mer tropicale. Ne pas s’imaginer des plages de sable fin et des vahinés lascives allongées sous les cocotiers.
De nombreux indices donnent à penser que de terribles cyclones devaient balayer le lieu.
Le site est connu des scientifiques sous le nom de Delta de Roda. Il faut imaginer le Rio Isabeña charriant des alluvions et les déposant ici comme le Rhône le fait chez lui. La municipalité en a fait un argument touristique en créant de nombreux sentiers d’interprétation.
Au détour d’un virage, la cité de Roda apparaît subitement, juchée sur une bute isolée. Une cathédrale occupe la majeure partie du sommet, laissant peu de place aux autres constructions. On peut s’étonner de trouver en ce lieu perdu un bâtiment religieux d’une telle importance.
Il faut aller chercher l’explication dans l’histoire tourmentée des maures et des chrétiens.
Aux alentours de l’an mil, le pays entier était aux mains du sultan de l’émir Al Muzzafar de la taïfa de Lerida. A l’appel du pape Alexandre II, une armée franque franchit le Somport, rejoint ses alliés Aragonais et marche sur Barbastro. Elle prend au passage la ville de Graus où elle commet un grand carnage. En additionnant les seuls combats de Graus et Barbastro, le chiffre de 50 000 tués est souvent avancé.
Dans la région de Roda de Isabeña libérée, les chrétiens élèvent monastères et églises comme pour marquer l’installation durable d’un ordre nouveau. Roda devient un épiscopat ce qui explique la présence de la cathédrale en ce lieu. L’édifice tel qu’il nous apparaît aujourd’hui a été remanié à différentes époques dont la dernière date du XVIII° siècle.
Par Gérard Caubet