Les Pyrénées affichent une étonnante mosaïque de cuisines régionales. Se mettre à table est aussi une façon de voyager. Il n’est pas une vallée qui n’ait une spécialité différant de la voisine.

De nombreux facteurs s’imbriquent et se conjuguent pour expliquer cette diversité.

Pour la plupart, ils résultent de la rencontre d’un produit de terroir, d’un particularisme local et d’un savoir-faire partagé par toute une communauté.

Si on traçait une carte de la gastronomie, elle se superposerait peu ou prou celle des climats. Ainsi la cuisine à l’huile d’olive recouvre l’aire de culture de l’olivier. Dans les vallées, on est plutôt cuisine à la graisse.

L’héritage historique a son importance. Les épices, le safran, le riz proviennent de plusieurs siècles d’occupation arabe de l’Espagne. Des légendes bien ancrées dans les esprits sont à l’origine de plats comme le cassoulet ou la poule au pot.

La tortilla à l’espagnole et l’omelette à la française délimitent la frontière avec autant de précision que le traité des Pyrénées signé sous Louis XIV. Avec Christophe Colomb et les grandes découvertes, de nouvelles cultures comme le piment, le chocolat, font souche dans les Pyrénées.

Le temps faisant son œuvre, elles on fini par s’inscrire dans le patrimoine local jusqu’à former le ciment de son identité

Jusqu’au XIVe° siècle, les plaisirs de la table sont l’apanage de la noblesse.

Pendant que les seigneurs se goinfrent de paons et de cygnes farcis dressés sur table dans leur plumage, le paysan trime pour survivre. Le pain et un maigre brouet dans lequel flotte parfois un morceau de viande, constitue son quotidien. Orge, avoine, seigle millet pour les pauvres, blé pour les riches.

Pour légitimer l’abstinence, le calendrier liturgique était particulièrement prolifique en jours maigres où il fallait se serrer les braies un plus qu’à l’ordinaire. La bonne chère atteindra les Pyrénées au XIX° siècle avec l’essor des stations thermales.  L’époque romantique attirera une clientèle huppée et bourgeoise dont l’estomac délicat réclamait des nourritures terrestres élaborées et conséquentes.

Cette tendance s’amplifiera au début du siècle suivant avec l’ouverture des palaces de Font-Romeu, Super Bagnères et autres grands hôtels. Les guides touristiques, dont le fameux guide rouge Michelin crée en 1900, contribueront à l’émergence des cuisines de terroirs.  Avec le boom du tourisme de masse, l’assiette devient un vecteur privilégié de valorisation identitaire

L’étonnante naissance des soi-disant authentiques produits pyrénéens de terroir

Les produits de terroirs originels ont pratiquement disparu. Il faudra attendre le fameux « Échange colombien », ainsi nommé  en référence à Christophe Colomb, contribuera à l’acclimatation en Europe de nombreuses espèces nouvelles en provenance des empires coloniaux.Les grandes découvertes au XV° et XVII° provoqueront un bouleversement mondial des écosystèmes dont on peine à imaginer l’ampleur.

Au premier rang, la pomme de terre. Elle traverse l’Atlantique vers 1570. Il faudra qu’elle attende le XVIIIe siècle pour qu’un  pharmacien aux armées, du nom d’Antoine- Augustin Parmentier, fasse reconnaître ses qualités. On trouve dans les Pyrénées de nombreuses espèces de patates en Roussillon, Capcir,   Pays de Sault, Bergueda en catalogne sud etc. On ne compte pas les plats dont elle est la vedette, ni les nombreuses façons de les cuisiner : patas bravas, al pobre, à la graisse avec des cèpes ou simplement bouillies. On en trouve même dans les soupes de poisson comme le « marmitako » basque ou la « bullinade » catalane.

La tomate connut également une implantation laborieuse, à commencer dans les esprits. D’abord considérée comme plante d’ornement, longtemps on la crut toxique. Elle pénètre en France par la Provence puis connaît rapidement le succès que l’on sait. Dans les Pyrénées, on la trouve dans la « piperade » basque, le « sofregit »  catalan, le « pan con tomate », le chilindron aragonais, etc. En Espagne, elles sont servies à moitié vertes dans de rafraîchissants « ensaladas illustradas » avec des asperges et du jambon.

Le maïs arrive en France sous le nom de blé d’Espagne. Grâce à son haut rendement, il supplante le millet. Son nom occitan « milhoc » est tiré de la racine linguistique de la céréale vaincue. Sa culture, très exigeante en eau, est particulièrement adaptée à la douceur du piémont pyrénéen et de la Garrotxa. Autrefois les paysans faisaient leur ordinaire d’un brouet à base de maïs et d’eau, appelé selon les régions Milhas, Broye ou Taloa.

Catherine de Médicis introduit en France le haricot lors de son mariage avec Henri II en 1533. Rapidement, il se substitut partiellement sans le remplacer aux pois chiches, fèves et lentilles consommés depuis le temps des romains. Les pays  pyrénéens connaissent de nombreuses variantes de cette flatulente légumineuse parmi lesquelles le haricot coco de Pamiers qui conditionne la réussite du cassoulet grâce à sa capacité de résistance à 12 H de cuisson. Le Ganxte du Valles accompagne avec bonheur une spécialité catalane : la botifarra de la Garriga. Le haricot de Santa Paul se plait particulièrement dans les sols volcaniques de Garrotxa. Quant au haricot maïs, cultivé en Béarn et Bigorre, il est semé au milieu des champs de maïs dont la jambe vigoureuse  lui sert de tuteur. Il profite de l’ombre généreuse de son feuillage pour se protéger de la Bruche, insecte ravageur affectionnant la chaleur pour se multiplier. Le haricot tarbais est le plus connu des « haricots-maïs » et bénéficie d’un label rouge.

La cuisine basque fait grand usage du piment d’Espelette (Espeletako Biberra) petit village dont il porte le nom. À la saison, le précieux condiment sèche sur des cordes et décore les façades des maisons à colombage. En poudre, il dissuade les mouches de venir fricoter et pondre sur la charcuterie en train de sécher à l’air libre. Le « biper eztia » est une autre variété de piment également cultivé en pays basque. Absolument non piquant, il entre dans la composition de la piperade, des omelettes ou des salades de tomate, dont il rehausse l’appétence par son vert intense.

Ironie de l’histoire, Christophe Colomb, de retour des Amériques fait jeter par-dessus bord des fèves de cacao, croyant avoir affaire à des crottes de chèvres !. Il faudra attendre plus de 20 ans pour que le chocolat arrive en France, via Bayonne en 1615, à l’occasion du mariage d’Anne d’Autriche infante d’Espagne et le futur Louis XIII âgé de 14 ans. Le savoir faire des juifs expulsés d’Espagne suscitera la création de nombreuses fabriques dans la région jusqu’à Oloron où se trouve une des plus importante chocolaterie … suisse !

Identité des terroirs, légendes et racines historiques

L’apport de la culture arabe est important et a traversé les âges. On leur doit l’usage des épices notamment le safran dont l’étymologie « zafaran » signifie jaune. Compte tenu de sa haute valeur ajoutée, la culture du safran tend à se développer, même versant Nord des Pyrénées. On  leur doit également, l’introduction de la riziculture au IX° siècle. Elle s’est étendue, en 1860 dans le delta de l’Ebre. Il fait l’honneur de nombreuses spécialités catalanes dont la « Paella » et « l’Aroz Nègre » (riz noir) dont la couleur est due à l’encre de seiche.

La légende situe l’invention cassoulet  lors du siège de Castelnaudary par les Anglais pendant la guerre de 100 ans.  Pour se donner la force de bouter l’ennemi loin des murs, les assiégés cuisinèrent un immense plat de haricot et de viande. Il existe plusieurs versions de ce plat hautement déflagrant. Le célèbre gastronome Prosper Montagné l’avait divinisé au point de comparer à la Sainte trinité avec celui de Castelnaudary dans le rôle de Dieu le père, le fils à celui de Carcassonne et le à celui de Toulousain au Saint Esprit. Autres variantes : le Cassoulet de morue, la  Mounjetade de Pamiers, la Fabada espagnole ou la pistache du Comminges. À l’opposé de la « gauche caviar » qui fréquente les salons, dans le sud-ouest, t on ironise sur « la gauche cassoulet » ainsi nommée pour sa propension à régler à table les affaires politiques.

La Poule au pot est un autre plat  dont la paternité est attribuée à Henri IV le Béarnais : « Je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot ». Cette phrase s’insère dans sa politique de restaurer la richesse des campagnes après 40 ans de guerres de religion. Eu égard sa légendaire vigueur, on lui attribue aussi la maxime grivoise « Poule au pot et poule au pieu font l’homme heureux ».

Les Tapas sont intimement liées au savoir vivre à l’espagnole. Pour les non-initiés, il s’agit de petits plats finement cuisinés que l’on partage autour d’un verre. La plupart des bars en proposent. De nombreuses légendes tentent d’expliciter cette sympathique pratique. L’une remonte au moyen âge sous le règne Alphonse X le sage. Le roi souffreteux, faisait une cure de vin accompagné de petite nourriture pour éviter la gueule de bois. Une fois guéri et conquis par la thérapie, il généralisa dans son royaume la coutume de picorer en buvant. Les tapas étaient nées. . « Ir des tapas » consiste à faire le tour des bars en mangeant et en buvant. À Madrid, on dit « hacer el Rosario » (égrener le chapelet).

Toujours en Espagne, il est coutume de fêter le nouvel an en mangeant douze grains de raisin à chaque coup de minuit. Un coup de génie des viticulteurs est à l’origine de cette coutume. Devant faire face à une extraordinaire surproduction, ils inventent la tradition en invitant les madrilènes à se réunir sous l’horloge de la Puerta del Sol à Madrid au moment crucial et se biser en croquant « la uva » au rythme du carillon. Elle s’étend rapidement à toute l’Espagne.

Encore et toujours en Espagne, il n’est pas rare de se voir proposer des Migas en entrée. Dans la dure vie du paysan d’antan où rien ne devait se perdre, les miettes de pains étaient frites dans un peu d’huile d’olive. Il n’y avait pas de petites économies. Sur les tables d’aujourd’hui, les migas sont agrémentées d’un œuf au plat et parfois de grains de raisin. C’est simple, c’est bon, il suffisait d’y penser !

Diversité des outils de cuisson

La cuisson directe sur les braises est vieille comme le monde. Elle est toujours traditionnellement pratiquée dans les Pyrénées. En catalogne, la « cargolade » consiste à  griller des escargots directement sur la braise sans autre forme de procès. Avant d’être distribué les gastéropodes aux convives impatients, l’officiant fait couler dans chacun d’eux une goutte de lard fondu. Quelques verres de rosé plus loin l’ambiance est à son comble.

À l’autre bout des Pyrénées, on pratique le Zikiro Pesta appelé aussi méchoui basque. L’agneau  découpé en quatre est empalé sur des pieux de noisetier et cuit doucement au-dessus d’un grand tas de braises. Les Espagnols aiment bien la cuisine à « la brasa » notamment les délicieuses « costillas » d’agneau grillées à cœur et servies en abondance accompagnées de « patatas al pobre »

Au premier rang des outils exotiques de cuisson, la plancha arrive en bonne place. Inventée par les Espagnols au XIXe° siècle, elle fait appel à la caléfaction, phénomène physique connu sous le nom d’effet Leidenfrost. Chauffé à plus de 300 degrés, il se forme à la surface de la plancha une goutte d’eau dont la durée de vie est exceptionnellement longue, plus de 4 minutes. Les aliments sont ainsi cuits sur un film de vapeur surchauffé.

D’autres ustensiles de cuisine revêtent une importance capitale dans la gastronomie pyrénéenne comme la paella, issu du mot catalan petite poêle. Le nom de l’ustensile et le plat se confondent. Dans le même registre, on trouve la « cazuela », récipient de terre cuite, généralement de couleur marron en usage en Espagne et allant au four.

Pour le vin, deux outils traditionnels permettent de se passer de verre. La « chahakoa » gourde de peau enduite de pois est utilisée pour transporter le vin à l’extérieur (très utile en rando). En catalogne et en Espagne, l’usage du porron est réservé à la table. Il s’agit d’un contenant de verre muni d’un bec que l’on doit pencher pour obtenir l’effet escompté. Devant un parterre de spectateurs admiratifs, les virtuoses du porron et de la chahakoa boivent bras tendu et bouche entrouverte. Pour les novices, l’écoulement se fait surtout sur la chemise.

Méthodes de conservation

Le séchage et le salage sont couramment pratiqués pour la conservation des viandes. La réputation du jambon de Bayonne ou du Serrano n’est plus à faire. Moins connue est la « cécina » que l’on trouve en Espagne et qui désigne toutes sortes de viande séchées de la chèvre au bœuf.

Le confit est une technique de conservation des aliments à l’abri de l’air. Elle était largement utilisée avant l’invention de la conserve par Nicolas Appert au début du XIX°siècle. Auparavant, on procédait à l’enfouissement de la viande cuite à l’abri de l’air dans la graisse. On utilisait pour cela des toupis, sorte de grands récipients en terre cuite où il fallait plonger à pleines mains pour récupérer les morceaux. Le confit de canard est le plus connu, mais la technique peut s’appliquer à toutes sortes de viandes en particulier le porc.

Prodigalités de la nature

Malheureusement et comme partout la truite de rivière n’est plus dans les restaurants, qu’un lointain souvenir. Toutefois les Pyrénées ont la chance d’avoir des piscicultures alimentées à la bonne eau de montagne. Ne pas résister à la tentation d’une truite à la navarraise farcie aux lardons et dont l’abdomen est fermé par des cure-dents pour éviter que la chair délicate ne se torde à la cuisson.

Le saumon était autrefois si important qu’il était interdit d’en servir plus d’une fois par semaine aux ouvriers agricoles. Aujourd’hui, il provient de fermes aquacoles où est pratiqué l’élevage intensif. Le saumon sauvage commence à remonter les gaves pyrénéens. Des « échelles à poissons » sont construites sur les barrages pour faciliter la montaison et la dévalaison. Navarrenx sur gave de Pau voit chaque année se dérouler sur ses rives les championnats du monde de pêche sportive au saumon.

Aux deux extrémités, là où les Pyrénées baignent dans l’eau salée, les produits de la pêche en mer garnissent les assiettes.

Les anchois passent l’hiver sur des fonds à deux cents mètres de profondeur et se rapprochent des côtes  au printemps pour frayer en bancs de millions et parfois de milliards d’individus. Ils sont doublement attendus par les pécheurs et les thons qui en font une grande consommation (prés de 30% de leur poids.) Les anchois de Collioure sont unanimement reconnus. On peut les consommer frais, au vinaigre (boquerones)  conservés à l’huile, entiers ou en filet.

Saint-Jean-de-Luz est un important port thonier. Le thon basquaise est la recette locale la plus couramment proposée. Les amateurs le préfèrent saignant.

Autre spécialité basque les chipirons à l’encre ou à la basquaise selon les goûts. Le merlu koskera est un plat de printemps qui résulte de la rencontre saisonnière simultanée du merlu, des asperges et des petits pois

Sur les étangs de la côte méditerranéenne, on attend avec fébrilité l’anguille à son retour de la mer des Sargasses. La bullinade sera son destin. Anguilles tronçonnées, patates et autres ingrédients sont disposés en alternance en plusieurs couches et mises à cuire dans un récipient allant feu puis servies avec un aïoli sur de larges tranches de pain.

À l’embouchure de l’Adour, c’est sur la pibale que se porte l’intérêt des pêcheurs (et des braconniers). Appelées aussi civelles, les alevins d’anguille, remontent le fleuve après long voyage dans l’Atlantique porté par le Gulf Stream. Très prisée par les Espagnols, la recette la plus fameuse est l’Angulas à la Bilbaïna, servie avec une fourchette en bois dans une cazuela en terre cuite, relevés à l’ail et aux guindillas (variété de piment local). La plus grande vigilance s’impose car on trouve de nombreuses imitations de pibales à base de surimi.

Les Pyrénées sont riches en « vrai gibier » n’ayant jamais connu le confort des bâtiments d’élevage ni l’ivresse éphémère de la liberté juste avant l’ouverture. Le « pyrénéen authentique » est un chasseur dans l’âme.

Dans les vallées, on pratique encore la chasse traditionnelle à la palombe, (en cabane ou au filet) et la chasse à l’isard.

Malgré une législation drastique, on peut trouver dans les restaurants basques de succulents salmis de palombe. La quantité de plomb de chasse dont elles sont farcies, est une preuve irréfutable de leur nature sauvage. On aime ou l’on n’aime pas mais devant tant de splendeur, on se réconcilie sur l’assiette avec le même enthousiasme que sur l’oreiller.

En Espagne, on aime bien la Perdrix à l’escabèche (de escabechar décapiter). Cette marinade froide et relevée qui accompagne généralement le poisson peut surprendre appliquée au gibier.

La cueillette est une activité vieille comme le monde. Dans les montagnes catalanes, on se presse au début des beaux jours, à la recherche du couscouil. Cette puissante ombellifère, pouvant atteindre deux mètres de hauteur est proche de l’angélique avec laquelle on la confond souvent. Les jeunes pousses sont consommées crues ou préparées en liqueur.

Le chénopode bon-henri, ou épinard sauvage, (sarrous de son nom pyrénéen), se rencontre en montagne prés des cabanes ou des reposoirs à bestiaux dont il affectionne le terrain riche en engrais organique… Les bergers en manque de légumes verts le mettent dans la garbure en remplacement du chou.

À la saison, les champignons sont traqués à peu prés partout. À l’ouest des Pyrénées, le cèpe est à l’honneur, tandis que le lactaire délicieux (Rousillous, Robellones) réunit les faveurs des catalans et des Espagnols, qui le consomment grillé.

Les cariolettes  (marasme des oréades) et les morilles ont leurs inconditionnels. Ils sont appréciés pour leurs qualités saucières, mais se dégustent aussi en omelette.  Le diamant noir, n’est pas le seul apanage de quelques régions françaises. On en trouve aussi en Aragon où chaque hiver se tient à Ainsa, un marché aux truffes.

En Sierra de guara, dans les canyons pousse le « Té de Roca »  (Glutinosa Jasonia), littéralement thé de roche. Une cuillère à café de terre lui suffit à s’accrocher  sur les parois calcaires. La pharmacopée traditionnelle lui attribue de nombreux bienfaits. On en trouve aussi ailleurs au sud des Pyrénées.

Produits fermiers

La ferme reste l’unité de production agricole. Avec le temps, et les considérations économiques qui vont avec, elle a évolué de la polyculture vers la spécialisation.

Dans un passé pas si lointaine, chaque ferme élevait « avec amour » son cochon. Lequel amour s’arrêtait le jour fatidique du sacrifice rituel. Appelé « lou ministre » ce surnom valut à une famille des Hautes Pyrénées quelques ennuis lors envoi d’un télégramme à des parents de la ville : « tuons ministre samedi » ! Aujourd’hui l’abattage familial  est interdit, mais la cuisine cuisine du cochon est toujours l’occasion de réjouissances collectives. Chaque région, à sa manière de cuisiner. Chacune considérant en général que la sienne est la meilleure.

Du groin à la queue, « Tout est bon dans le cochon ». L’esqiaou (colonne vertébrale), est conservée au sel pour parfumer délicieusement la garbure. Le sang mélangé à la farine de maïs est pétri en boule pour en faire  des  « miques ». Le morceau noble est le jambon. Les plus connus sont ceux de Bayonne, le Serrano, l’Ibérico ou le Pata négra provenant de porc noir.

Les montagnards apprécient en casse-croûte, la ventrèche avec des œufs grésillant dans la graisse fondue (poitrine salée, rouste, xingar, taillous). Un gros rouge qui tâche est fortement recommandé. Du cholestérol en barre qu’il convient d’évacuer dans la foulée par un bon exercice physique.

Le boudin est connu du temps des Grecs. Homère en parlerait dans l’Odyssée. Le mot pourrait venir de l’ancien français « bedine » ayant aussi donné bedaine. Il a autant de boudin que de vallées. En Cerdagne Capcir, il agrémente l’Ouillade, plat roboratif à mi-chemin entre la soupe épaisse et la potée.

La charcuterie espagnole a ses propres spécialités. Chorizo, Lomo Soubressade, se distinguent par leur belle couleur rouge tirant sur le vermillon. Elle est due au « Pimenton » variété de paprika dont on fait grand usage outre Pyrénées. Appelé « pebre vermell » en catalogne, il est reconnu pour ses propriétés antiseptiques, d’où son usage immodéré dans la charcuterie sèche. On assiste actuellement au retour en force de races rustiques comme le porc gascon, basque ou noir de Bigorre, éclipsés dans les années soixante par le porc rose dit anglais, plus productif.

Le canard n’est pas typiquement pyrénéen, mais chaque ferme en élevait une « bande » en prévision des repas de fêtes. Cette production à haute valeur ajoutée à suscité l’appétit financier de groupes agro-alimentaires industriels, mais on continue toujours de trouver des élevages traditionnels. Seuls les mâles sont gavés au grain. Les femelles moins aptes au gavage sont vouées à la reproduction ou terminent en cannettes rôties. Le foie hypertrophié de ces messieurs reste la valeur sûre des réunions festives.

En Béarn, on appelle trébuc le morceau de confit glissé dans la garbure  L’occitaniste Béarnais Simin Palay préconise de touiller délicatement la garbure avec une cuisse de canard confite afin d’obtenir une émulsion parfaite entre la graisse et le bouillon.

En Espagne, le palmipède n’est pas dans les habitudes alimentaires, mais les choses évoluent.

Le jardin, attenant à la maison, est un lieu à haute valeur symbolique et économique.

De sa bonne tenue, les voisins pouvaient jauger les qualités de la maîtresse de maison dont il était le domaine. En général féliciter par-devant et cancaner par-derrière. Bien géré, il devait satisfaire aux besoins annuels en légumes frais grâce à une empirique rotation des cultures.

En Espagne, on y fait pousser de gros oignons doux (cebolla de fuente). En Bigorre, l’oignon de Trebons est cultivé depuis le XVIIIe° siècle sur les bords de l’Adour. Il a la réputation de ne pas faire pleurer (ou si peu !). Les aragonais y cultivent la bourrache (Bojara), très prisée et  inconnue chez nous. Les côtes se consomment en salade tiède  comme le pois gourmand ou revenues à l’huile avec une pointe d’ail. Dans les régions d’élevage, les citrouilles sont cultivées sur  un tas de fumier déposé là pour la circonstance.

L’hiver, quand la terre est au repos et que ne plus rien ne pousse, quelques choux tentent de survivre aux frimas. En Andorre, Val d’Aran  et dans les montagnes catalanes, ils entrent dans la composition du Trinxat, plat traditionnel à base de « sagi » (lard rance), de ventrèche et de chou vert ayant pris la gelée. Dans les restaurants, les recettes édulcorées évitent aux papilles délicates le contact viril du lard rance et du chou gelé.

Les soupes épaisses ont largement recours aux légumes du jardin. Au premier rang, la garbure originaire du Béarn dans laquelle la louche doit idéalement tenir droite. Dans les Pyrénées orientales, son pendant est l’Ouillade et en Ariège la Rouzole.

L’élevage

En montagne, l’élevage à assit son essor sur le déclin des cultures vivrières. De nombreuses exploitations agricoles se sont ainsi reconverties. Certaines valorisent leurs produits en conduisant l’été leur troupeau respirer le bon air de la montagne et brouter le serpolet. Il en est ainsi de la « Rosée des Pyrénées (orientales) », veau élevé au lait maternel et à l’herbe des pâturages de montagne. De même pour le « Ternera » aragonais. En pays basque, le veau est mis à l’honneur dans une préparation typique appelée Axoa.

Au détour d’un sentier, il n’est pas rare de tomber nez à nez avec des brebis en liberté. De fortes chances pour que ce soit une tarasconnaise. Race rustique, infatigable marcheuse, cette ariégeoise séduit les éleveurs pour ses grandes qualités de montagnarde. Lâchées en totale liberté, elles font parfois le bonheur d’un ours de passage. La tarasconnaise  essentiellement destinée à la boucherie, ne doit pas être confondue avec la Basco béarnaise et la Manech à tête rousse ou noire, brebis laitière vouées à la fabrication du fromage des Pyrénées.

En Espagne, le must préféré des Français sont « costillas » fines cotellettes délicieusement grillées et servies avec générosité.  Le cordero al horno (agneau au four) est aussi très largement répandu. Les tripes d’agneau entrent dans la composition de spécialités très locales, le « Pétéram » à Luchon et les « Chiretas » en Aragon. L’équivalent basque est la « Tripotxa » spécialié du village de Sarre. Avis aux amateurs…

Le fromage est intimement lié à l’élevage.  Il est traditionnellement fabriqué à partir de lait de vache ou de brebis. Parfois les deux mélangés. On parle alors de « mixte ». Le fromage de chèvre sous forme de tome est moins courant. Crottins et cabécous ont pénétré les Pyrénées notamment en Ariège avec l’arrivée des néos au tournant des années 80.

Le pur fromage des Pyrénées au lait de brebis, fabriqué par les bergers à la montagne, est la plus emblématique des productions fromagères. Ses origines sont ancestrales. L’AOC Ossau-iraty s’est installé sur ce créneau sans y parvenir tout à fait. La plupart des bergers transhumants pyrénéens, frondeurs dans l’âme, ne sont pas dans l’AOC, ce qui ne les empêche pas de faire un excellent fromage. L’Ardi-Gazna est le nom générique pour désigner au Pays Basque, le fromage de brebis. En Espagne, le Roncal a un air famille sauf à provenir de races locales de brebis les Lacaha et les Rasa.

Il existe dans d’autres vallées de tradition laitière, de succulents fromages comme la Barousse, le Bethmale, le Saint Lary, le Moulis, et le Bamalou.

À partir de lait de brebis, on produit également la Cuajada (Espagne et Pays Basque) et le greuil (Béarn) à base de petit lait.

Les fruits

Le Roussillon est doublement concerné par la production fruitière. En premier lieu par Port-Vendres qui est le plus grand port fruitier de Méditerranée et par lequel entre en France la production d’Afrique du Nord. Le climat particulièrement propice du Roussillon fait de lui un des principaux vergers de France.

Dans les vieilles plantations, peut se lire une organisation agricole particulièrement astucieuse. L’espacement des rangs de vignes laissait une place suffisante à la culture de la salade et des abricotiers.

Le Rouge du Roussillon est un des meilleurs abricot qui soit. De taille moyenne, sa chair très parfumée est concentrée en sucre avec un goût très prononcé.

Plus haut dans la montagne, au pied du Canigou la cerise primeur de Céret est une des premières de l’année à paraître sur les marchés. Le premier panier est traditionnellement réservé à l’hôte de l’Elysée. À l’autre bout de la chaîne, au Pays Basque, la Cerise noire d’Itxassou lui fait écho. Plus tardive, elle accompagne avec bonheur le fromage des Pyrénées.

Il existait de nombreuses variétés de pommes. La plupart ont disparu avec l’arrivée de la Golden. La culture de la pomme est toujours présente au Pays basque pour l’élaboration du « sagardo » (cidre, littéralement vin de pomme). L’idéal est d’aller dans une « sagardotegi » sorte d’établissement à mi chemin entre cave et restaurant. Tout un cérémonial entoure sa dégustation notamment le Rite du « Txotx » où le cidre jaillit de la barrique en perce, évoquant lointainement le Manneken-pis. Traditionnellement on y mange l’omelette de morue, la côte de bœuf et un bon bout « d’Ardi-Gazna » (fromage des Pyrénées).

Le Sud Aragon est le pays de la pêche de Calanda. Appelée mélocoton, elle se croque à pleine dent, mais on peut aussi la déguster en soupe froide avec du jambon ou sautée en garniture de viande.

D’autres productions fruitières font la fierté des Pyrénées. Versant sud, les champs d’amandiers en fleur offrent au printemps sur fond de montagne, un spectacle des plus photogéniques. Les amandes entrent dans la fabrication de la Guirlache de Saragosse.  Sur le piémont Nord, se complait le kiwi autrefois appelé groseille de chine pour sa proximité de texture avec la groseille maquereau. En développant sa culture, les Néo Zélandais lui donnèrent le nom de Kiwi en référence à sa peau velue rappelant celle de leur oiseau national.

Par Gérard Caubet

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